COMMENT REMBOURSER UNE DETTE EXORBITANTE ?

https://static.blog4ever.com/2012/01/636480/l_6657445.gifes dettes, qu’elles soient publiques ou privées, sont aujourd’hui exorbitantes.

Plus aucun esprit sensé ne peut sérieusement considérer que  leur remboursement est possible, même au prix de « réformes structurelles » ou de mesures de « rigueur ».

Je ne reviendrai pas ici sur les chiffres qui, si l’on cumule les dettes des établissements publics (Etat, collectivités etc…) et des acteurs privés (qu’il s’agisse de ceux des ménages ou des établissements bancaires) représentent des montants impressionnants et proprement impossibles à prendre en compte dans leur intégralité.

En revanche, une fois ce constat établi, il reste la question de savoir ce que l’on peut faire pour solutionner un problème en apparence impossible à traiter normalement, c’est-à-dire par le désintéressement des créanciers.

Si l’on prend la peine de se pencher sur l’Histoire, on s’apercevra qu’il n’existe que trois façons de régler une dette impossible à assumer financièrement :

1)     Faire défaut ;

2)     Rembourser en monnaie de singe ;

3)     Rembourser à n’importe quel prix.

Malgré toutes mes recherches, je confesse humblement n’avoir pu trouver d’autres solutions dans la longue histoire humaine à un problème simple : comment assumer une charge financière trop élevée par rapport aux moyens disponibles ?

En revanche, ma réflexion que je soumets à l’analyse sagace des membres du blog, se nourrit d’un constat : les dettes privées sont aujourd’hui progressivement, et par divers moyens, transférées vers les acteurs publics, les créances étant pour leur part soit publiques, soit privées. Ce constat va être important pour apprécier les trois solutions historiques que j’ai pu étudier.

1°) Le défaut :

C’est la solution la plus simple qu’en droit français, nous appelons communément la cessation de paiement. Mais il est intéressant de relever qu’elle existe dans tous les systèmes juridiques libéraux, y compris dans les systèmes dans les plus capitalistes.

Il s’agit de mettre le prêteur devant ses responsabilités, en reportant sur lui la charge financière excessive.

Ce défaut peut être total ou partiel.

Sa mise en œuvre pratique peut obéir à des règles très différentes selon les pays, et peut être assortie de conséquences pour l’emprunteur défaillant plus ou moins importantes ou plus ou  moins longues dans le temps.

A ce stade, relevons qu’en France, il est fixé par des règles juridiques précises, et voit l‘intervention d’un Juge qui arbitrera un rapport de force entre l’emprunteur (ou ses représentants s’il est une personne morale – un administrateur judiciaire), et les créanciers (certaines procédures collectives voyant la désignation d’un « représentant des créanciers »).

Ce rapport de force est donc équilibré par une autorité juridique incontestable, qui devra tenir compte de l’intérêt public (représenté par le Ministère Public, dont la présence est en théorie prévue dans les procédures collectives, même si elle est rare en pratique), et de ceux des salariés lorsqu’il y aura des salariés concernés (des représentants de salariés doivent ainsi être également désignés).

La procédure française, qui date d’une Loi du 25 janvier 1985 pour les personnes morales et d’une Loi du 1er juillet 2010  pour les personnes physiques (il existe aussi des dispositions pour les associations, les collectivités locales etc…), est très imparfaite et fait l’objet de nombreuses critiques de la part des praticiens.

Elle a toutefois le mérite d’exister.

En effet, dans un contexte de Crise internationale de la dette publique, il convient de relever, et de déplorer qu’aucune règle n’ait été fixée pour un défaut d’un Etat, ou entre personne relevant de plusieurs états différents [i].

L’arbitrage du rapport de force entre emprunteurs défaillants et débiteurs lésés est donc laissé sans règles prédéfinies, dans l’incertitude la plus totale.

Il faut le déplorer car, historiquement, cette incertitude laisse la porte ouverte à toute sorte d’excès ou de débordements, pouvant aller du renoncement intégral (emprunts ottomans ou russes) jusqu’à des conflits armés, l’emprunteur usant de la force (expédition des troupes françaises contre le Dey D’Alger le 14 juin 1830) ou l’inverse (les exemples abondent, nous pourrons citons les exemples récents de l’occupation de la Rhénanie par les troupes franco-belges en gage du remboursement par l’Allemagne des réparations, ou de celle de Suez en 1956 contre la nationalisation du Canal de Suez par Nasser).

Voici la situation dans laquelle se présente aujourd’hui toute tentative de restructuration ou de défaut, total ou partiel, de la dette : l’absence complète de règles préalables permettant d’arbitrer entre des intérêts irréconciliables, et donc de solutionner pacifiquement les rapports de force entre emprunteurs et prêteurs.

Des mécanismes existent que l’on peut explorer brièvement : le plus plausible aux yeux de beaucoup serait la convocation d’une conférence internationale, permettant de mettre enfin en place un système en remplacement de celui de Bretton Wood, totalement failli, au sens figuré comme au sens propre.

Mais cette solution, qui n’est absolument pas envisagée par nos dirigeants actuels, ne règle pas a priori l’incertitude née des rapports de forces, d’autant plus impérieux, qu’ils peuvent intervenir entre puissances nucléaires sur le déclin.

Cette tendance est renforcée par le fait que l’ensemble des politiques actuelles tendent inéluctablement à transférer les dettes ou les créances privées vers les États.

Il ne nous reste qu’à déplorer que, comme en matière nucléaire, les acteurs se soient lancés dans un jeu sans règles de fin de partie sereine. Les emprunts internationaux ont été lancés ou souscrits sans qu’au préalable une procédure de règlement des défauts ait été mise en place, ce qui est une imprévoyance grave.

Il s’agit d’une condition essentielle à prévoir pour l’avenir : aucun instrument de crédit ne devrait exister sans qu’une norme de règlement d’un défaut ne soit adoptée préalablement.

Le défaut, ordonné ou désordonné, par  l’imprévisibilité de ses modalités et de ses conséquences ne peut qu’inquiéter.

2°) Le faux remboursement :

Il s’agit là encore de ne pas rembourser la totalité de la dette, qui rappelons-le est par hypothèse impossible à rembourser, mais de se contenter d’en restituer le nominal au créancier.

Le phénomène économique le plus classique pour cela est l’émission de monnaie artificielle, de la part des Etats, comme des acteurs privés.

Historiquement, ce phénomène se matérialise par une inflation galopante, et une perte de crédit dans la monnaie comme dans la valeur des engagements souscrits par l’emprunteur.

Ce remboursement en « monnaie de singe » s’est rencontré à de nombreuses reprises depuis l’Antiquité, engendrant des situations d’inflation parfois dramatiques pour les populations. Les exemples abondent et j’en épargnerai l’énumération au lecteur.

Mais ce remboursement peut aussi se faire de manière temporaire, les créanciers étant désintéressés puis ponctionnés par l’emprunteur, en l’occurrence le Roi, d’impôts et de taxes.

Hausse des impôts et inflation sont donc deux symptômes d’un remboursement que nous qualifierons de « faux », mais qui a l’avantage d’éteindre la dette dans son existence même, au prix de souffrances importantes des populations prises dans un tourbillon. Il faut ajouter que ce tourbillon, dévastateur pour la richesse et l’activité économique est incontrôlable, notamment parce qu’il va se nourrir des réactions  de précautions des agents. Il n’y a en effet pas de meilleure période pour vérifier l’inanité intégrale du dogme idéologique ultralibéral postulant l’identité parfaite entre la somme des intérêts privés et l’intérêt général, qu’une phase d’hyperinflation où les anticipations de chacun aggravent le désastre collectif.

Ce mécanisme se rencontre historiquement avant tout lorsque l’emprunteur est en position de force, c’est-à-dire lorsqu’il est détenteur de la force publique ou qu’il est l’autorité légale pouvant émettre de la monnaie.

Toutefois, il s’agit d’une solution lourde de conséquences en termes d’instabilité politique et sociale, et surtout qui lèse durablement les intérêts des créanciers, qui sont donc par définition en position de faiblesse dans le rapport de force.

Rappelons que les révolutions anglaises et françaises sont nées de la crainte des créanciers de voir naître de telles situations (que leur déclenchement a en fait accéléré mais c’est une autre histoire).

C’est à l’évidence aujourd’hui une hypothèse à ne pas écarter, au regard de la tendance lourde que l’on peut constater de transfert des dettes vers les États, même si cette situation suppose une diminution importante du poids et de l’importance politique des créanciers, ce qui n’est pas le cas.

3°) le remboursement réel :

C’est cette troisième hypothèse qui est la plus intéressante à étudier, puisqu’elle se rencontre à chaque fois que les créanciers disposent de la supériorité dans le rapport de force né de leur confrontation avec des emprunteurs incapables de les rembourser.

Il s’agira principalement de deux situations : soit le créancier est public et les emprunteurs privés, soit les créanciers sont privés mais contrôlent l’appareil gouvernemental, de manière à pouvoir imposer à la masse un remboursement de leurs créances à tout prix.

Ce prix, que les capacités financières ne permettent pas de payer, est donc remplacé par la spoliation ou la perte de liberté des emprunteurs défaillants.

Historiquement, c’est un phénomène qui s’est constaté notamment lors de la chute de l’Empire romain.

Confronté à des problèmes financiers insolubles, dont les causes sont multiples, les empereurs ont ainsi été amenés à augmenter de manière de plus en plus importante les impôts au point d’éteindre toute capacité de paiement de la plus grande part des contribuables [ii].

C’est ainsi que l’on constate au cours du Bas Empire, une dégradation importante des droits des affranchis, et surtout des petits fermiers ou artisans romains, souvent descendants de la plèbe ou d’anciens légionnaires, qui sont écrasés d’impôts. Ils vont progressivement et par divers mécanismes basculer dans le colonat, un statut de contrainte qui est l’ancêtre du servage du Moyen-Age.

Comment cela a-t-il pu arriver ?

Ne pouvant faire face aux charges liées à des impôts excessifs, les petits propriétaires terriens du Bas Empire, au départ des Hommes libres, parfois citoyens romains, vont se réfugier dans le clientélisme, c’est-à-dire la protection d’un puissant. Cette protection est d’autant plus impérieuse que les problèmes de rentrées fiscales vont aggraver la corruption de l’appareil étatique, qui va se mettre aux services des riches, seuls à même d’assurer la subsistance des fonctionnaires et des militaires.

La distinction classique à Rome entre « Honestiores » et Humiliores » va s’en trouver aggravée [iii].

Accablés de dettes, les petits propriétaires vont ainsi être contraints de céder leur terre à un riche propriétaire, qui va pouvoir fixer ses conditions, car il ne peut lui-même l’exploiter. Le fermier va ainsi être contraint de ne pas enregistrer la cession, permettant au riche « potentes » de ne pas payer l’impôt, tout en devant lui donner une partie de sa récolte.

Cet accord va être appelé « patrocinium », et offre un double avantage au riche possédant : il accroît son patrimoine par des terres et une partie des récoltes, tout en échappant au fisc.

Le fermier va de son côté poursuivre sa descente dans la spirale d’un endettement sans fin, les impôts non réglés s’accumulant alors même que ses ressources sont réduites par la ponction d’une partie de sa récolte.

Ces procédés vont faire l’objet de plusieurs interdictions impériales, d’abord sous Constantin [iv], puis à nouveau sous Arcadius [v], sans succès. La validité de ces cessions est finalement reconnue par l’Administration impériale en 415, en échange du règlement par le patron des arriérés d’impôts dus [vi]. Une fois les arriérés payés, le débiteur défaillant, le fermier, bascule dans le statut de colonat, nouveau statut juridique.

Le colon, qui n’est pas un esclave (il dispose de l’existence juridique) perd sa liberté et celle de ses descendants. Il est désormais attaché au lieu où il réside et doit un certain nombre de prestations à son patron. Il s’agit d’hommes libres qui pour payer leurs dettes exorbitantes perdirent légalement leur statut d’hommes libres. Citons Salviens : « transformés comme s’ils avaient bu le breuvage de Circé, ceux qui étaient libres tournent en esclaves » [vii].

Ce statut va être étendu aux artisans par les autorités impériales, afin de pallier les effets sur l’industrie de la baisse démographique.

Puis, le colon va perdre le droit de choisir une épouse d’une autre classe, celui de quitter son lieu de résidence, de changer de métier et se voit soumis à de légères redevances, rapidement transformées en prestations. Le tryptique du colonat est défini ainsi : Origo, Obnoxatio et Munera.

En revanche, ils disposent d’un droit inaliénable à pouvoir exploiter leur ancienne terre, droit transmis à leur descendance.

Cette évolution, qui est le contrepied de toute l’évolution juridique du Haut Empire en faveur des esclaves, est principalement expliquée par un rapport de force en faveur des créanciers, face à une dette impossible à rembourser. Les riches possédants [viii], dont la plupart refusaient de payer les mêmes impôts, ont pris le contrôle de l’appareil impérial, pour imposer le transfert des créances publiques à leur profit vis-à-vis des petits contribuables [ix].

Outre que nous retrouvons là une nouvelle variation du droit de propriété, il faut donc constater qu’historiquement, si le rapport de forces est en faveur des créanciers, les dettes, mêmes impossibles à rembourser, le seront, en sacrifiant un bien sans prix : la Liberté.

Nous n’en sommes aujourd’hui pas là, mais il m’a paru intéressant de rappeler quelques exemples historiques à la réflexion de chacun.


 


[i] Je mets de côté le règlement communautaire n°1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité et une Loi type de la CNUDCI sur le commerce internationale ; l’une comme l’autre sont loin d’être complètes par rapport à la finalité traitée dans le texte ;

[ii] Les causes de cette situation sont pour synthétiser maladroitement à rechercher dans la conjonction de trois facteurs : une baisse des ressources liées à l’arrêt des conquêtes (butin, esclaves…), une hausse des charges impériales (coût d’une accession à la pourpre impériale dans une instabilité politique permanente, coût de fonctionnement d’un Etat et d’une Armée de moins en moins efficace…), et une baisse démographique ;

[iii] Voir Guillaume CARDASCIA : L’apparition dans le droit des classes d’« honestiores » et d’« humiliores », in Revue Historique de Droit Français, 1950, pp. 305-337 et 461-485 ;

[iv] Code Théodosien, III, 1, 2 ;

[v] Code Théodosien, XI, 1, 26 ;

[vi] Code Theodosien, XI, 24, 6 ;

[vii] De Gubernatione Dei, V, 8, 44 ;

[viii] Rappelons tout de même que dans cette période d’invasions barbares périodiques, la classe des riches va subir un renouvellement permanent, ces évolutions de statut profitant in fine aux roitelets barbares qui ont exterminé les derniers descendants des chevaliers et des sénateurs romains.

[ix] Notons l’assentiment des premiers chrétiens à cette évolution, l’Eglise prônant la soumission et l’obéissance « pour la plus grande gloire de Dieu » cf. Concile de Gangres (340).


 

 



17/04/2012
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