Astrid, un si doux prénom pour un réacteur nucléaire


NUCLÉAIRE - Astrid. Ce ravissant prénom est l'acronyme du réacteur nucléaire de la 4ème génération, autrement dit le petit frère de Phénix et Superphénix, superbe échec de la technologie nucléaire qui a coûté plus de 10 milliards d'euros au contribuable avant un démantèlement. Mon propos n'est pas - même si la situation tragi-comique des Verts mériterait des commentaires - de souligner l'incompatibilité entre l'esprit de l'accord Verts-PS, excluant la mise en route de tout nouveau réacteur, et le contrat passé subrepticement entre le CEA et Bouygues pour une assistance à maîtrise d'ouvrage de 44 mois, mais on peut s'interroger sur ce qu'en pense Mme Batho, ministre de l'énergie dont il serait bon de savoir si elle a seulement été informée et a fortiori consultée...

Mon propos est d'ordre financier et procédural.

Financier d'abord : quel va être le coût de cette nouvelle lubie du CEA, lancée en 2006, pour laquelle 1 milliard d'euros a été prévu dans le grand emprunt ? La question mérite d'autant plus d'être posée que 3 autres sujets occupent le devant de la scène :

  • à commencer par la dérive des coûts de l'EPR et de ITER : un EPR prévu à 3 milliards d'euros qui dépasse aujourd'hui les 7 milliards, sans certitude sur la bonne fin des travaux, n'est-il pas un précédent suffisamment fâcheux pour appeler à la prudence ; d'autant plus que Superphénix s'est révélé être un gouffre financier? Sans parler d'ITER qui capte une grande partie des crédits communautaires de recherche au détriment des autres besoins et avec les mêmes dérives que nos partenaires ne comprennent pas ;
  • pour poursuivre avec l'incertitude technique sur ce réacteur. Le dossier de presse du CEA- qui avoue des "tensions" fortes sur l'uranium dès le milieu du siècle (c'est très optimiste, car les tensions sont déjà là ne serait-ce qu'en raison de la localisation des gisements) rappelle fâcheusement les promesses mirobolantes de Superphénix qui n'a jamais marché comme surgénérateur. Ce mythe, qui dure depuis 50 ans, de la surgénération est très aléatoire dans sa réalisation ;
  • et ensuite, les conséquences de l'allocation de maigres fonds dont dispose l'État aujourd'hui. Les projets CEA, c'est l'État qui les paye. C'est donc un choix qui ampute d'autant les crédits destinés à l'efficacité énergétique, voire à la sûreté nucléaire si EDF demandait un appui. Cela pose donc la question du rapport coût / avantage en fonction d'une batterie de critères, dont l'urgence de mettre en place les alternatives aux hydrocarbures pour lutter contre l'effet de serre. Les réacteurs de 4ème génération ne sont pas prévus sur le papier avant 2040, donc probablement 2050, au mieux.


Ceci conduit au deuxième volet : celui de la méthodologie.

Alors que le Président de la République a annoncé un débat sur l'énergie dont le Premier Ministre a précisé qu'il se tiendrait à l'automne, comment des choix aussi structurants et coûteux peuvent-ils être faits ?

En réalité, tout se passe comme si la course de vitesse était engagée entre le lobby nucléaire et le choix démocratique pour créer une irréversibilité. C'est vrai pour Fessenheim, où EDF investit (enfin !) à tout va, alors que la fermeture est programmée, comme si cette fermeture pouvait être repoussée après 2017 avec un pari sur un changement d'orientation politique. C'est vrai pour Astrid, où rien ne presse, car le délai de 2012 pourrait être repoussé d'un an pour cause de débat énergétique et où, en toute hypothèse, la décision pouvait intervenir le cas échéant après le débat en 2012. Peut-être Bouygues était-il pressé de conclure autant que le CEA ? Or, la poursuite du nucléaire, au-delà de la durée de vie des centrales existantes, est probablement la décision la plus structurante qui soit pour notre avenir alors même que le dernier rapport de l'ASN souligne la possibilité d'un accident nucléaire majeur en France et insiste sur l'importance des investissements à faire pour en réduire le risque et assurer la situation en cas de catastrophe.

La France n'a plus les moyens de se tromper sur ses choix d'investissements. Sa situation sociétalo-politique ne lui permet pas davantage de continuer dans un système où le politique est dépossédé de ses choix par la technostructure. Or, le politique ne signifie pas seulement les responsables politiques mais aussi la société civile qui réclame un droit au choix, ou, a minima, au débat honnête et préalable à tout choix.

En définitive, sous une apparence anodine, le contrat CEA Bouygues pour Astrid est un vrai déni démocratique.

 

Corinne Lepage.

 

 



05/07/2012
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