«Erika» : la justice veut passer l’éponge


Voici une nouvelle qui peut être lourde de conséquences. Les lobbys pétroliers ont bien travaillé. Cela ne laisse augurer rien de bon pour l'avenir et les menaces futures. Vous verrez que bientôt nos territoires seront souillés, détruits, sans que nous ne puissions plus rien faire. encore un sujet d'indignation. Mais combien en faudra-t-il avant notre réveil et notre révolte?

 



 

INFO LIBÉ. Douze ans après le naufrage du pétrolier et deux procès qui avaient condamné Total, la Cour de cassation pourrait annuler ce jugement.

 

Par ÉLIANE PATRIARCA

Le procès de l’une des plus importantes catastrophes écologiques qu’ait connu la France va-t-il définitivement sombrer, poussé au naufrage par l’Etat lui-même ? Le 24 mai, la Cour de cassation, la plus haute juridiction française, doit se prononcer dans le dossier de l’Erika, le pétrolier affrété par Total et dont le naufrage, en décembre 1999, avait provoqué l’une des pires marées noires ayant souillé le littoral français. L’avis de l’avocat général et le rapport préparatoire au débat contradictoire devant la cour, que Libération s’est procurés, aboutissent aux mêmes conclusions stupéfiantes : la cassation totale, sans renvoi, de l’arrêt attaqué, c’est-à-dire l’annulation pure et simple du procès en appel qui avait vu la condamnation pénale de Total.

Jusqu’ici, la catastrophe environnementale a donné lieu à deux procès-fleuves, en première instance en 2007 et en appel en 2009. A chaque fois, le jugement a établi la responsabilité pénale des prévenus : l’affréteur Total, la société de certification italienne Rina, l’armateur italien Giuseppe Savarese et le gestionnaire du navire, Antonio Pollara. Tous ont été pénalement condamnés aux amendes maximales pour délit de pollution maritime et, au civil, à verser des indemnités de réparation pour préjudices «matériel, écologique et moral». Tous quatre se sont pourvus en cassation, n’admettant pas d’être tenus pour responsables. La cour doit désormais se prononcer, non pas sur le fond, mais sur la bonne application du droit dans le procès en appel.

L’avocat général, lui, dépend hiérarchiquement du procureur général près la Cour de cassation, Jean-Claude Marin, très marqué à droite. Et qui a nécessairement soumis son avis au ministère de la Justice. Même fondé uniquement sur des éléments de droit, cet avis traduit donc un vrai choix politique. Or, l’avocat général, tout comme le rapporteur, s’engage dans une brillante démonstration pour prouver que le droit a été mal appliqué et demander la cassation totale. S’ils étaient suivis, ce serait une décision rarissime.

«Martingale». En clair, si la Cour de cassation décide, le 24 mai, de suivre l’avis de l’avocat général et d’avaliser le texte du rapporteur,«toute une jurisprudence gênante pour les acteurs du transport maritime sera anéantie, décrypte un juriste. On se retrouvera alors sans responsable pour l’une des plus importantes pollutions du littoral français !» Totalsera dédouané de toute responsabilité au pénal. MeDaniel Soulez- Larivière, l’avocat de la compagnie pétrolière, est soulagé. «Toutes les questions de droit international public que nous soulevons depuis le début ont été prises en compte. L’avocat général comme le rapporteur soulignent bien le problème de droit posé par le jugement, la nécessité que le législateur se conforme aux conventions internationales. Ils montrent qu’il n’y avait pas matière à ce procès, ni au pénal ni au civil.»

Le ministère public développe une argumentation extrêmement détaillée qui dénonce la faiblesse de la loi française réprimant la pollution maritime par hydrocarbures au regard des conventions internationales.«Une vraie martingale juridique», estime pour sa part, à la lecture de ces imposants documents, un proche du dossier. L’avocat général explique ainsi que si les «dommages causés par la marée noire issue de l’Erika» ont été subis par les côtes françaises, le lieu du rejet d’hydrocarbures, celui du naufrage donc, se situe dans ce qu’on appelle la «zone économique exclusive» (ZEE), c’est-à-dire hors des eaux territoriales françaises.La convention de l’ONU sur le droit de la mer divise les eaux en différents espaces, et définit les droits des Etats dans chacun d’eux.

Pavillon. Selon l’avocat général, l’Etat côtier peut appliquer sa loi à tous les navires dans ses eaux territoriales, mais aux seuls navires sous pavillon français en ZEE. Or, l’Erika s’y trouvait lors du naufrage et battait pavillon maltais. Conclusion : la loi française est inapplicable - les conventions internationales priment - et c’est la loi de l’Etat du pavillon - Malte, donc - qui doit s’imposer. Il conclut donc que «la loi française est inapplicable aux faits poursuivis […] ; la conséquence étant la cassation totale et sans renvoi de l’arrêt attaqué».

En bref, ce qui importe est le lieu du naufrage et non celui de la pollution, et les juges en première instance comme en appel se seraient fourvoyés en retenant comme élément constitutif de l’infraction le lieu d’impact du fioul, c’est-à-dire les côtes françaises. «Mais le fioul ne s’est pas cantonné autour de la coque ! Il s’est bel et bien répandu jusqu’à souiller 400 kilomètres de côtes, s’indigne une source proche du dossier. C’est une interprétation complètement déconnectée de la réalité.»«Une interprétation ultralibérale, dans tous les sens du terme, de la convention de l’ONU de Montego Bay», ironise un juriste en droit maritime.

«Catastrophe». La démonstration de l’avocat général n’est pas terminée : il lui reste à balayer la notion de préjudice écologique, développée (notamment en appel) avec le soutien de nombreux scientifiques, et sa réparation. Sur le plan civil, il explique, comme le rapporteur, que seule peut s’appliquer la convention internationale sur «la responsabilité des propriétaires de navires pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures». Qui prévoit les indemnisations correspondantes. Or, elle «définit le dommage par pollution dans des termes, dit-il, qui ne permettent pas d’y inclure le préjudice écologique» retenu en appel. Donc ce dernier n’existe pas, puisqu’il ne figure pas dans ces textes de 1973 et 1982…

Les collectivités locales comme les régions Bretagne, Pays de la Loire et Poitou-Charentes, mais également les associations, comme la Ligue pour la protection des oiseaux, n’auraient pas dû être indemnisées au titre de l’atteinte au patrimoine naturel.

Du point de vue du droit, si l’avocat général et le rapporteur étaient suivis, cela signifierait que «tout l’arsenal juridique dont on s’est doté au pénal pour faire face à de nouvelles marées noires du type de l’Erika, tout le système juridique international mis en place depuis douze ans à la suite de la catastrophe», s’écroulerait, conclut un juriste.

 



 

L'avis de Corinne Lepage.

 

Corinne Lepage a vivement réagi vendredi à l'annonce de la possible annulation par la Cour de cassation de la procédure judiciaire dans l'affaire de l'Erika, en estimant qu'"on marche sur la tête".

"C'est un signal extrêmement fort qui ruine des années et des années de jurisprudence", a estimé l'écologiste, avocate des parties civiles, au micro d'Europe 1. "Cet arrêt [d'annulation de toute la procédure, NDLR], s'il était rendu et j'espère qu'il ne le sera pas, signe l'impunité des sociétés pétrolières qui peuvent faire n'importe quoi, polluer n'importe comment, prendre des décisions qui leur rapportent toujours plus d'argent et ce sans jamais être responsables de rien", a déclaré Corinne Lepage, en ajoutant : "c'est vraiment catastrophique si la Cour de cassation juge ça".

La décision de la Cour sera connue le 24 mai.



06/04/2012
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